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Le gibier: de la forêt à l’assiette

Que vous soyez chasseur passionné ou gourmand curieux, voici tout ce que vous devez savoir sur la viande sauvage et d’élevage.

Tartare de cerf, bourguignon de bison, rôti d’autruche, saucisses de sanglier, burger de kangourou… Mon arrière-grand-père, qui a tenu un étal de boucher pendant 40 ans au marché Saint-Jacques à Montréal, serait renversé devant toutes ces viandes de gibier d’élevage offertes aujourd’hui. « On trouve maintenant des découpes fraîches et surgelées même dans les supermarchés, souligne Alexandre Duval, boucher à la Maison du Rôti. Par contre, contrairement au bœuf, au porc et au poulet, le choix est souvent limité, parce que l’approvisionnement en gibier varie selon l’offre. Mais les clients aiment ça… et en redemandent ! »

Quelle est la différence entre gibier sauvage et gibier d’élevage ?

Dans le dictionnaire, le terme « gibier » fait référence à la viande d’animaux chassés. Dans les faits, nul besoin d’être chasseur pour manger du lapin, du cerf ou de l’oie, car plusieurs fermes en font l’élevage. Certains producteurs élèvent même des espèces venues d’ailleurs, comme l’émeu, l’alpaga et l’autruche. Ces élevages réglementés permettent de commercialiser le gibier d’élevage, pour le plus grand plaisir des amateurs. Au Québec, sauf exception, il est interdit de commercialiser la viande de gibier sauvage, qu’il soit gros ou petit, à poil ou à plume.

Dans la province, le marché du gibier est restreint… mais très prisé. Il faut donc s’attendre à payer plus cher pour cette viande, souvent le double du prix. Les coupes nobles (filet, contre-filet, entrecôte…) de certains gibiers d’élevage peuvent atteindre de 80 à 100 $ le kilo ! On trouve aussi dans les comptoirs beaucoup de gibier importé, comme le cerf de la Nouvelle-Zélande, qui fait concurrence aux éleveurs de cerfs rouges locaux, une situation que la Fédération des éleveurs de grands gibiers du Québec déplore. Depuis 2003, le nombre d’éleveurs de gibier est en déclin, mais la quantité d’animaux par ferme augmente, signe que les petits producteurs peinent à survivre.

De la viande sauvage au restaurant ?

En février dernier, on apprenait la création d’un projet pilote visant à servir de la viande sauvage dans certains restaurants du Québec dès cet automne. Au total, 10 tables pourront servir du cerf en provenance d’Anticosti (où la population de cerfs est abondante) et du gibier de piégeage dont la commercialisation de la fourrure est déjà permise, comme le lièvre et le castor.

De nombreux restaurateurs réclamaient ce droit depuis plusieurs années, désireux de promouvoir la richesse de notre terroir dans leur menu. Les opposants au projet craignent une augmentation du braconnage et parlent d’élitisme pour avoir accès à cette viande dans les restaurants. Certains chasseurs sont aussi réfractaires à l’idée de donner un prix à un bien commun, notre faune. À suivre !

Le gibier, meilleur pour la santé ?

Sauvage ou d’élevage, le gibier fournit des quantités considérables de fer, soit beaucoup plus que les autres viandes. Par exemple, un steak d’orignal offre deux fois plus de fer qu’une même quantité de bœuf. Pour la volaille, les chiffres sont tout aussi impressionnants : une portion de canard d’élevage compte pour le double de fer par rapport à une portion de poulet. Et si le canard est sauvage ? On multiplie par huit.

L’avantage des espèces chassées, c’est qu’elles se déplacent dans la nature à leur guise. Les animaux en quête de leur nourriture sont donc plus actifs et moins gras.

À titre comparatif, la viande de chevreuil est deux fois moins grasse que le bœuf et quatre fois moins que l’agneau. Quant au gibier d’élevage, tout dépend de l’espèce, de la coupe de viande et des conditions de vie des animaux. Le gibier nourri à la moulée et gardé en enclos n’aura probablement pas le même profil nutritionnel que celui laissé libre en pâturage. Tout de même, on peut considérer que le gibier est plus maigre que les viandes traditionnelles.

Enfin, comme toutes les viandes, le gibier est une excellente source de protéines. Une portion très raisonnable de 100 g (3 ½ oz) de viande cuite contient entre 20  et 35 g de protéines, amplement pour procurer un effet rassasiant et combler vos besoins protéiques pour ce repas.

Manger du gibier, est-ce sécuritaire ?

Pour le gibier d’élevage, soyez sans crainte. Les animaux sont élevés dans un environnement contrôlé, et l’abattage se fait selon des normes gouvernementales strictes. Il n’y a donc pas plus de risque que pour un autre type de viande.

Pour la chasse, ça se complique un peu. Certes, il n’y a pas plus bio ou « naturelle » que la viande d’un animal ayant vécu toute sa vie en liberté dans la nature. Ironiquement, c’est précisément pour cette raison, et parce que l’abattage se fait en plein air, que certaines précautions s’imposent. Lorsqu’elles sont respectées, la viande chassée ne présente aucun danger, que ce soit pour les femmes enceintes, les enfants ou les personnes vulnérables, comme les aînés et les malades. Voici cependant quelques conseils :

  • Il est fortement déconseillé de manger une viande chassée crue. Elle peut être contaminée par des parasites invisibles ou autres micro-organismes dangereux pour l’humain.
  • La viande crue se conserve bien emballée au réfrigérateur (entre 0 et 4 °C) pour un maximum de 3 jours. Au congélateur (< -18 °C), vos morceaux peuvent se conserver de 3 à 12 mois, selon la coupe et la qualité de l’emballage.
  • Durant la cuisson, utilisez un thermomètre et assurez-vous que la température interne de la viande atteigne au moins 74 °C (165 °F) pendant 15 secondes pour qu’il n’y ait aucun risque pour la santé.
  • La congélation peut tuer certains parasites, mais pas tous. Même la viande décongelée doit être mangée cuite.

Pourquoi la viande a-t-elle un goût de fer ?

C’est normal puisque les animaux sont très actifs et exercent davantage leurs muscles. Leur viande renferme plus de myoglobine — une molécule à base de fer semblable à l’hémoglobine du sang —, ce qui explique le goût parfois prononcé de fer (appelé aussi goût ferrugineux), ainsi que sa couleur généralement plus foncée.

La nourriture et l’âge de la bête comptent aussi. Un animal vivant dans les forêts abondantes du nord du Québec aura un goût « de bois » plus prononcé — attribuable au sapinage et autres plantes sauvages dont il se nourrit — qu’un autre qui s’alimente sur les terres cultivables plus au sud. C’est ce qui permet aussi d’expliquer pourquoi le gibier d’élevage a un goût moins prononcé : son alimentation est contrôlée et souvent standardisée.

Fait intéressant, les composés aromatiques responsables du goût « sauvage » s’accumulent dans les tissus graisseux. Lors de la cuisson, la saveur se développe et devient plus notable en bouche. Difficile donc de goûter la différence entre une viande de bœuf et une autre de cerf, lorsqu’elles sont servies crues. À ne pas oublier la prochaine fois que vous paierez le gros prix pour un carpaccio ou un tartare de gibier au restaurant...

3 mises en garde au sujet de la contamination

1 - Lièvre, castor et rat musqué :
Ces animaux peuvent être porteurs d’une bactérie qui peut causer la tularémie, une maladie infectieuse rare, mais potentiellement mortelle chez l’homme. Les chasseurs et trappeurs doivent prendre certaines précautions, comme porter des gants lors de la manipulation et redoubler de prudence pour ne pas se couper. On recommande aussi une cuisson adéquate pour détruire la bactérie en cause.
2 - Caribou, cerf, chevreuil et autres cervidés :
On doit éviter de consommer le foie et les reins (rognons) de ces animaux, car ils peuvent être contaminés au cadmium, un métal présent dans la nature. Une portion de rognons contaminés peut contenir 100 fois plus de cadmium que la quantité tolérée par l’Organisation mondiale de la santé.
3 - Ours noir :
La viande peut contenir un parasite invisible à l’œil nu. Transmissible à l’humain, ce ver peut causer une infection appelée trichinellose. Comme la congélation ne permet pas de détruire le parasite, on règle le problème avec la cuisson recommandée (voir Manger du gibier, est-ce sécuritaire ?)
Attention ! on ne nourrit pas les animaux domestiques
avec le foie ou les poumons crus d’animaux chassés. On risque de leur transmettre des parasites dangereux pour leur santé

comment Cuisiner le gibier comme un pro ?

Travailler une viande très maigre, comme l’orignal, le canard sauvage ou le bison, amène son lot de défis. Le gras contribue au goût et à la tendreté de la viande. Il faut donc veiller à ne pas trop cuire la viande de gibier, car elle deviendrait sèche et dure. Pour y remédier, considérez ces suggestions :

  • Emballez-la dans des tranches de bacon pour la cuisson.
  • Arrosez régulièrement votre pièce de viande avec son jus de cuisson.
  • Ajoutez un corps gras (beurre, bacon, gras de canard) à vos mijotés.
  • Attendrissez certaines pièces plus fermes en les martelant (ex. : escalopes).
  • Tranchez toujours les rôtis dans le sens opposé des fibres musculaires.

Si l’on vous offre de la viande sauvage… 

  • Pour le gros gibier, demandez si un boucher qualifié a effectué la découpe de l’animal (ce que la majorité des chasseurs font). Vous vous assurez ainsi que l’animal a été entreposé et découpé dans des conditions salubres.
  • Inspectez la viande. Le gibier doit sentir le bois avec des arômes de terre fraîche et de champignons. Si une âcreté sanguine vous monte en milieu de nez, c’est bon signe ! Par contre, si la pièce de gibier présente une odeur étrange ou une décoloration, ne prenez pas de risque et jetez-la.
  • Si la viande est sale ou a encore quelques poils, ne la rincez pas. Vous risquez de contaminer l’intérieur de la chair avec les bactéries présentes à la surface. Il vaut mieux retirer une mince couche avec un couteau propre et bien aiguisé.
  • N’hésitez pas à poser des questions sur la provenance de la viande et son traitement, particulièrement s’il s’agit d’un chasseur peu expérimenté. Sachez qu’il existe des recommandations spécifiques pour assurer la salubrité du gibier dès son abattage en forêt (saignée, éviscération immédiate, refroidissement). Pour plus d’infos, allez voir le site du ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec (mapaq.gouv.qc.ca).

Nos astuces pour obtenir un goût sauvage moins prononcé

Enlevez le gras visible
ou optez pour une coupe maigre (filet, poitrine). C’est dans le gras que s’accumulent les arômes qui confèrent au gibier son goût distinct.
Retirez les os,
poils, peau et tissus conjonctifs. Toutes ces composantes rattachées à la viande contribuent à sa saveur forte.
Marinez votre viande au moins 1 h avant sa cuisson.
Les saveurs de la marinade permettront d’équilibrer celles de la viande.
Sortez votre fumoir
ou ajoutez des copeaux de bois humides (mesquite, pommier, érable) enveloppés dans une papillote d’aluminium percée que vous glisserez dans votre barbecue.

Hélène Laurendeau

Passionnée d’alimentation, de santé et de voyages gourmands, Hélène adore partager ses trouvailles avec le grand public. Diplômée en nutrition (Université de Montréal) et en épidémiologie (McGill), elle est active dans les médias depuis plus de 25 ans. À la télévision, elle fait équipe avec Ricardo depuis 2005 pour vulgariser ses connaissances avec la bonne humeur qu’on lui connaît. À la radio, Hélène collabore aussi chaque jeudi à l’émission Bien dans son assiette (Ici Radio-Canada Première). On peut également la lire dans le magazine Ricardo. Pour suivre Hélène sur les réseaux sociaux :
Twitter : @Hlne_Laurendeau
Facebook : Hélène Laurendeau Nutritionniste

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