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Les épices de Noël

On les aime toute l'année. Mais, tradition aidant, cannelle, muscade, genièvre et clou de girofle embaument tout spécialement pendant les fêtes. Pas un Noël, en effet, sans un pain d'épice odorant ou un lait de poule relevé. En plats salés ou sucrés, laissez les piquants assaisonnements de la saison vous charmer.

Fascinante histoire des épices

Si les épices font partie de notre quotidien culinaire depuis des décennies, elles restent cependant méconnues à bien des égards. À vrai dire, la cuisine dans son sens le plus large, et plus particulièrement la cuisine régionale, ne serait pas ce qu'elle est sans l'apport essentiel des épices qui lui donnent un caractère particulier, souvent unique. Plus encore, la carte géopolitique du monde serait bien différente aujourd'hui sans leur existence.

Consommées depuis des temps immémoriaux dans la pharmacopée populaire, utilisées pour conserver les mets ou en rehausser la saveur, devenues parfois même monnaie officielle, notamment dans le cas du poivre, les épices ont été à l'origine des plus grandes explorations que le monde a connues. Les Alexandre le Grand, Marco Polo, Vasco de Gama, Magellan et bien d'autres avaient souvent comme but avoué ou non de leurs expéditions le négoce des épices. Quand Christophe Colomb a débarqué aux Antilles en 1492, il cherchait la route des épices qui devait le mener aux Indes.

Vendues à prix d'or durant des siècles, elles ont été l'objet de guerres territoriales entre les grandes puissances coloniales, et les plantations étaient jalousement protégées. C'est le cas notamment de la muscade et du clou de girofle, tous deux originaires de l'archipel des Moluques, en Indonésie, dont le monopole était détenu par les Néerlandais dans les années 1600. On concentrait alors la culture sur quelques îles faciles à défendre, de petits territoires où arbres et arbustes étaient presque tous abattus ou déracinés afin de laisser place aux précieux muscadiers et girofliers. Ces plantations étaient sous haute protection militaire, et les aborigènes qui ne voulaient pas y travailler étaient tout simplement éliminés. Mais il était inévitable que des plantes aussi convoitées soient disséminées un jour ou l'autre un peu partout dans le monde, une situation qui a d'ailleurs mis un terme aux grands monopoles de l'époque.

Aujourd'hui, on peut se procurer des épices à vil prix dans toutes les «épiceries» qui ont évidemment perdu leur vocation première. Le geste est quotidien, banal. Pourtant, chaque fois que vous manipulez une épice, c'est habituellement le résultat d'un épisode particulier de l'histoire humaine.

Fleur de girofle

Même s'il est considéré comme originaire lui aussi de l'archipel des Moluques, le giroflier n'aurait jamais été trouvé à l'état sauvage. Arbre de climat chaud et humide, il est produit par semis, puis transplanté lorsqu'il atteint un mètre de hauteur. Il commence à produire vers l'âge de six ans, quand il atteint environ sept mètres de hauteur, soit la moitié de sa taille maximale. En pleine production, un giroflier donne environ deux kilos de clous séchés par année.

Le clou de girofle est en réalité un bouton floral avant qu'il ne s'épanouisse. Jaunâtre, il devient progressivement orange foncé ou pourpre au moment de la récolte et atteint alors 1 cm de longueur. Les boutons sont cueillis à la main et sont séchés au soleil pendant trois jours.

Utilisé dans un nombre incalculable de plats et de préparations culinaires, le clou de girofle connaît aussi d'autres usages plutôt méconnus. En Indonésie, il sert à aromatiser un type de cigarettes, en parfumerie, il donne cet effluve particulier d'œillet au célèbre Coco de Chanel ou Ysatis de Givenchy et entre dans plusieurs produits pharmaceutiques. Il contient en effet de l'eugénol, un composé odorant aux vertus antiseptiques et analgésiques. Il y a quelques décennies à peine, on conseillait encore d'insérer un clou de girofle entre les gencives pour soulager une douloureuse rage de dents, une tradition qui remonte d'ailleurs au Moyen-Âge. Aujourd'hui, l'eugénol et ses variantes sont utilisés en hygiène buccale et en dentisterie, dans les pansements.

Le clou de girofle a aussi connu une application culinaire inattendue: il a permis de fabriquer la vanille artificielle. C'est par oxydation de l'eugénol que l'on a obtenu la vanilline de synthèse aujourd'hui utilisée à l'échelle industrielle, un produit dont la composition chimique est très voisine de la vanilline naturelle qui donne à la gousse du vanillier sa raison d'être.

Baie de genièvre

Des épices des fêtes, la baie de genièvre est probablement la moins connue chez nous. Elle est relativement peu utilisée, et on la retrouve notamment dans la fameuse choucroute. Elle sert aussi en charcuterie et dans la préparation de sauces, de marinades ou encore dans les plats de gibier, de porc, de volaille ou de lapin. Ces petits fruits bleu foncé aromatisent aussi le fameux gin anglais, le genièvre néerlandais ou belge, l'aquavit des Scandinaves, en plus de parfumer certaines bières et plusieurs eaux-de-vie. Son huile essentielle entre aussi dans la fabrication de parfums.

Le genièvre est le fruit du genévrier commun qui fait partie de la soixantaine d'espèces que compte cette grande famille d'arbres et d'arbustes, des végétaux utilisés sur une très grande échelle en horticulture ornementale.

Le genévrier commun est souvent considéré comme l'arbuste ayant la plus grande distribution dans le monde. On le retrouve presque partout dans l'hémisphère boréal, de l'Amérique du Nord en passant par l'Europe, le nord de l'Asie et le Japon. Il ne dépasse guère les deux mètres de hauteur, mais, en Europe et en Nouvelle-Angleterre, l'arbrisseau peut se transformer en un véritable arbre de plus de huit mètres de haut. Les cultivars utilisés à des fins décoratives atteignent aussi une taille importante.

Les fleurs femelles sont en réalité des cônes, comme les cocottes de pin ou de sapin. Elles deviennent de pseudobaies, ou galbules en termes scientifiques, qui tournent au bleu foncé à la maturation, à leur deuxième année. Cueillis à l'état sauvage au cours de l'automne, les fruits prennent leur saveur épicée lors du séchage.

Noix de muscade

Originaire des îles Banda dans les Moluques, en Indonésie, la noix de muscade est aujourd'hui produite un peu partout en milieu tropical chaud, notamment en Inde, au Sri Lanka et dans l'île de la Grenade, dans les Antilles, où s'approvisionnent surtout les grossistes canadiens. Mais, curieusement, elle est surtout consommée en Europe et en Amérique du Nord.

La noix de muscade entre dans la confection de nombreuses pâtisseries et peut être utilisée dans une multitude de mets, aussi bien dans les viandes que les poissons ou les légumes. On s'en sert aussi pour aromatiser quelques liqueurs, comme la Chartreuse ou certains vermouths.

Le muscadier est un arbre odorant qui peut atteindre une quinzaine de mètres de hauteur. La noix de muscade est recouverte d'une pulpe épaisse et d'un tégument orange, qui, une fois séché et mis en poudre, prend le nom de macis. Quant à la noix, elle est toujours râpée avant utilisation. Il suffit d'enterrer une noix de muscade sous un sapin pour qu'un vœu se réalise, dit une légende.

Écorce de cannelle

Il existe plus de 250 espèces de canneliers, mais trois ou quatre d'entre elles seulement sont cultivées à des fins condimentaires. La cannelle la plus réputée est produite par le cannellier de Ceylan (devenu aujourd'hui le Sri Lanka) et est largement utilisée en Europe. Ses feuilles sont luisantes et lorsqu'on les froisse elles émettent une odeur de… clou de girofle. L'arbre peut atteindre une quinzaine de mètres de hauteur.

La cannelle offerte sur le marché canadien nous vient habituellement du cannellier d'Indonésie, Cinnamomum burmannii, de son nom scientifique, surtout cultivé sur la grande île de Sumatra. Son goût est semblable à la cannelle de Ceylan, mais il est plus corsé. Mais pour le consommateur, il est habituellement impossible de déterminer la provenance du produit parce que les étiquettes restent muettes à ce sujet.

Surtout utilisée en poudre, la cannelle est simplement l'écorce du tronc ou des branches du cannelier. L'arbre est souvent cultivé de façon à former de gros drageons dressés, en forme de buisson, ce qui facilite d'autant l'extraction de l'écorce. Les tiges peuvent être traitées lorsqu'elles atteignent environ 2 mètres de hauteur, après trois ou quatre ans de croissance. La récolte s'effectue à la saison des pluies, quand les tissus sont gorgés de sève et l'écorce facile à enlever. Elle est incisée jusqu'au bois, délicatement détachée de la tige, séchée pendant 24 heures puis nettoyée à fond et coupée en tronçons. On poursuivra ensuite le séchage, une étape qui permettra aux morceaux d'écorce de s'enrouler progressivement sur eux-mêmes. Ils prendront alors une couleur brun pâle et leur odeur caractéristique.

La cannelle est largement utilisée en cuisine, notamment en pâtisserie et dans les desserts. Au Canada, elle est souvent associée à la compote de pommes, et la consommation fait toujours un bond important à l'automne, quand les vergers sont en fruits, indiquent les grossistes en épices. En bâton, elle parfume le café, le lait au chocolat et bien sûr le vin chaud que l'on boit pendant les fêtes.

Pierre Gingras

Pierre Gingras parle d’horticulture, de chasse et de pêche comme si c’était une seconde nature. Cet ex-professeur d’écologie traite de fleurs, de plantes et de potager depuis plus de 30 ans dans différents médias, notamment au quotidien La Presse. Il discute de ses sujets de prédilections avec Ricardo durant l’émission quotidienne de celui-ci sur les ondes de Ici Radio-Canada Télé. Depuis 2001, il signe la page Du potager à la table dans le magazine Ricardo. Il est également l’auteur de l’ouvrage Les bulbes, publié aux Éditions de l’Homme.

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